La Liste de Schindler
Commentaires sur le film et le livre

Historique - Oskar Schindler - Le livre de Keneally - Le film de Spielberg - Analuyse de deux séquences du film - Conclusion

Historique
La différence, l'exclusion et la discrimination ont toujours existé. Un déclic s'est produit, vers le milieu du XI Xème siècle. Les Philologues, ayant trouvé des origines et tracé des limites entre les langues dites aryennes et les langues dites sémites, d'aucuns ont cru bon de transposer ces notions linguistiques en notions raciales.

L'Antisémistisme, mot nouveau et forgé au XIXeme s., était né. Une floraison vénéneuse de livres, de pamphlets, d' études à prétentions scientifiques, sans compter des faux manifestes comme "les Protocoles des Sages de Sion", produits par l'Okhrana, (la police tsariste), ont alors vu le jour. Ces écrits, un Adolf Hitler les a lu et a fait sienne leurs conceptions du "probleme juif". Celui-ci reposerait, basiquement, sur 1' hypothèse d'un vaste complot mondial visant à faire gouverner, ouvertement ou d'une manière occulte, le monde entier par une ethnie bien particulière, celle des Israélites.

Oskar Schindler
Où se situait Oskar Schindler là dedans?. Allemand Sudète, fils à papa quoique méprisé par ce dernier, nazi par opportunisme, agent de renseignement de l'Abwher ayant sans doute fourni les uniformes polonais de l'affaire de Gleimitz, ( la provocation ayant déclenché la guerre), il n'a, dans un premier temps, pas eu de scrupule à s'enrichir prodigieusement en utilisant une main-d'oeuvre pratiquement gratuite ou méme à occuper ses biens, usine et anciens logements spoliés. Un personnage initialement peu ragoûtant donc.

A partir du moment, vers 1941, où, la question juive en devient réellement une dans la logique perverse nazie, deux manières de la résoudre apparaissent: soit régler définitivement cette question par le massacre, c'est à dire, la Solution Finale, soit tirer le plus grand parti possible d'une masse humaine asservie, mais dans des conditions telles que cette masse devait "fondre", étre exterminée par le travail. Cette deuxieme conception aurait voulu que l'on remplaçat cette main d'oeuvre, sous-alimentée et durement menée, par de nouveaux "arrivages" ou même, que l' on procédat régulièrement à des sélections visant à éliminer les inaptes au travail. Devant la brutale réalité de "massacrer des êtres humains", Oskar Schindler va sauter d'une logique (nazie) à l'autre (humaniste), tout en utilisant une phraséologie hypocrite face aux nazis. Ainsi, il ne va pas s'opposer théoriquement à ce qu' on lui prenne SES juifs et qu'on les remplace périodiquement par d'autres, mais il va utiliser le caractère de "hautes spécialisations d'un personnel (accessoirement juif, il est vrai) mais travaillant pour la Vitoire finale". A cette attitude patriotique d'industriel participant à fond à l' effort de guerre, il ajoutera la lubrification par les "petits" cadeaux. Comment Oskar Schindler, de corrupteur malhonnéte le devriendra -t-il pour une bonne cause?, c'est en fait le fil d'Ariane du Roman puis du Film.

Comment a-t-on fait un livre?
Il y a fort longtemps, que l'on connaissait, dans les milieux concernés, qu'un certain Schindler avait fait "quelque chose". Le public, lui, etait ignorant. Thomas Keneally (journaliste et écrivain) va, un beau jour, acheter une valise et au hasard de la converestion, apprend que le marchand est un "Schindlerjude", un Juif de Schindler, Poldek Pfefferbers. La truffe du journaliste-romancier frémit et il se met en chasse d'autres Survivants, dispersés dans le monde entier, pour en collecter les souvenirs. Keneally préfère écrire un Roman, ce que j' appelerai un "roman historique" dans le méme sens où l'on dit "film historique", "film de costumes" ou même simplement "Peplum". Là où aucun témoignage n'existe ou quand le témoignage ne donne pas la trame d'un dialogue, d'un discours, l'auteur invente au plur près du plausible. Quelle est, ce faisant, la crédibilité de Keneally?

Cette crédibilité est assez grande, bien que pas totale. Le récit concordant d'une grande quantité de témoins, aussi bien que l'expérience effrayante et unique subie en commun, donne au texte final une valeur de fresque historique. "la liste de Schindler" est donc écrit un livre-scoop, écrit par un journaliste écrivain peu concerné au départ par le génocide juif.

Spielberg et "la liste de Schindler"
Spielberg, cinéaste à succès, achète les droits très tôt du livre (1982), mais attendra pratiquement 10 ans avant d'en faire finalment un film. Sa préoccupation pour le génocide juif est sensible de par ses origines juives et par l'ignorance de la jeunesse américaine.

Le problème de la langue
Un noyau de Polonais-juifs, parlant principalement le Yddish, une langue à base d' Hébreu, de langues de l' Est et avec une forme germanique, est entouré par une autre forme d'agression, qui est la langue des Maîtres et Bourreaux, l'allemand dans sa forme nazie. le petit monde de Schindler utilise donc un mélange primitif et haut en couleurs de Yddish-polono-russe. Cette rudesse n'apparaît pas directement dans le Roman de Keneally et encore moins dans le Film de Spielberg, parce qu'écrits tous les deux en anglais édulcoré. Pourquoi édulcoré? Parce que dans les conditions épouvantables de survie, on ne s'embarrasse guère des raffinements du beau langage. Autrement dit, le petit garçon qui se laisse tomber, après dix autres, dans une fosse d' aisance, ne plonge pas dans un mélange neutre quoique excrémentiel, mais est littéralement, et jusqu' au cou, dans la merde.

En revanche, le film permet de restituer une atmosphère, une autre culture (pour les non-juifs) par les chants et les textes religieux hébraïques, d'autant plus émouvants qu'ils s'opposent aux situations épouvantables décrites.

1200 juifs sauvés par Schindler
Lors de la Conférence de Wahasee de janvier '42, conférence au cours de laquelle les Nazis décidérent, non pas de l' extermination des Juifs, mais bien de la coordination entre les différents Ministères ou Organismes chargés de l'appliquer, il a été avancé un chiffre de 11 millions de victimes potentielles, en y comprenant la population juive des pays neutres ou non encore conquis par le IIIème Reich, aussi bien que celle dèjà en son pouvoir. En fait, on ne saura jamais combien ont péri: entre 4 1/2 et 6 millions ? On est raisonablement sur qu'à Auschwitz (en Pologne), il y aurait eu 1 1/2 million de Juifs assassinés. Or, et c'est ici à la fois énorme et dérisoire, Oskar Schindler ne sauvera que 1.200 personnes.

Analyse de deux séquences du film
Le film "La liste de Schindler" ressort plutôt de 1'anecdote illustrative. Les auteurs ont du choisir parmi les témoignages, éviter les répétitions fastidieuses, au besoin ont du faire des synthèses hardies, exactes peut-être en ce qui concernent les grandes lignes, mais fausses en ce qui concerne la valeur des informations accessibles à 1'époque, autrement dit la chronologie des évènements.

J'ai dit "répétitions fastidieuses": c'est justement ces répétitions, avec de légères variantes, qui font saisir l'horreur devant l'inimaginable. Le récit répété montre que ce n'est pas individuellement que 1'expérience concentrationaire a été vécue mais qu'elle l' a été imposée à des milliers, voire à des millions de gens.

Première séquence:
Un bel exemple en est cette scène où une femme dans une baraque, raconte ce qu'est Auschwitz.Les femmes refusent de croire cette "information". Or, au cours de son enquete, Thomas Keneally a du entendre un certain nombre de fois: "ce n' est pas possible,... venant d'un peuple civilisé,... la Patrie de Goethe! de Schiller, de Kant, de Mozart méme, (quoiqu'autrichien)". Cet argument, je l'ai entendu moi-méme pendant l' Occupation et je continue encore régulièrement de l' entendre dire par les Survivants. Si Spielberg l'avait fait dire un grand nombre de fois, outre la redondance, c'eut été non seulement lassant, mais encore contreproductif. I1 le fait donc dire par quelques femmes, une fois pour toute. Point.

Deuxième séquence:
L' exemple du "petit-garçon-qui-distribue-des-bouts-de-ficelles" pour lier les chaussures par paires. Cet épisode est vrai. le "Fou de Dieu", le SS Kurt Gerstein le mentionne dans ses dépositions écrites de juillet 1945. Un survivant des SonderRommando aussi, mais encore plus tard. Kurt Gerstein 1'a vu lors du gazage auquel il a assisté à Belzec pendant l'été 1942. I1 est vraisemblable que pour faire plus naturel, ce truc, psychologique, et d'autres aussi, aient été régulièrement utilisés par les SS afin de rassurer des gens que l'on allait assassiner, mais à qui on faisait croire qu'ils allaient simplement passer à la douche. Toujours est-il que cela se soit produit une fois ou plusieurs, le témoignage qui décrit ce fait n'a été écrit et donc connu de tous, que longtemps après la scène imaginée par Spielberg. Il est très improbable que les camps de la mort aient laissé filtrer cette information du temps de la guerre.

Conclusion
Démonter, tel que nous venons de le faire, une telle séquence, n'est pas tellement une critique des méthodes ou de la syntaxe propre au cinéma. C'est surtout un avertissement. Un film historique destiné à un public particulièrement ignare (la jeunesse américaine en particulier) peut et doit compresser des éléments, véridiques en faits, même s'ils sont faux chronologiquement, en plus de la compression de 4 ans en 3 heures. Pourquoi cette connaissance est-elle importante? Parce qu' il existe de par le monde, une petite clique de pseudo-historiens, (mais qui sont de vrais nazis), qui, au nom d'une attitude tout à fait honorable, le Révisionisme, sont en fait des Négationnistes dont les travaux, les thèses ou les écrits ne sont qu'une habile distorsion de faits pris hors contextes, une parodie de travaux académiques ou méme ne sont que de la pure affabulation. La pseudo-thèse de Roques est, à cet égard, un régal!

Il est important de se dire que 1'éloignement temporel va provoquer des distorsions, de sens et d'interprétations, des évènements d'alors, vus et entendus suivant nos valeurs actuelles. Je ne sais plus qui a dit que le film historique est plutôt un reflet des attitudes, des modes de pensées et du langage du temps où il a été filmé. C'est je crois tout à fait applicable au film de Spielberg. S'il fallait comparer le Film de Lansman, "Shoah" (un tableau des plus fouillés sur 9 heures), à celui de Spielberg, ce serait un peu vouloir comparer le Nouveau Testament au Petit Cathechisme de Malines. C'est une question d'ampleur de vue!

Texte de Pierre Ladeuze


Frederic Dupont
Mis à jour le : 21 janvier 1998, 00h18 EST